Les magiciens - Lev Grossman
Illustrateur : Frédéric Perrin
« Les magiciens », c’est de prime abord le genre de bouquin sur lequel on pose la main dans le rayonnage dans le but avoué d’en lire la 4eme de couverture et rire un bon coup, tellement ça sentira le mauvais pompage. Sur le coup, ça ne rate pas. Le dessin de couverture est très joli, mais la 4eme de couverture laisse présager une repompe de Harry Potter dans les règles, prêt à surfer sur la vague de son succès.
Brooklyn. Quentin, dix-sept ans, est un adolescent brillant mais il ronge son frein, prisonnier d’un monde désespérément ennuyeux, en attendant d’intégrer une université de prestige. Comme il regrette le temps de son enfance où les Chroniques de Fillory l’entraînaient dans un univers magique où tromper son ennui! Mais sa vie se transforme le jour où, à sa grande stupeur, il est admis à la faculté de Brakebills , une école extrêmement élitiste et secrète qui forme des magiciens. Cinq années d’un rude et dangereux apprentissage l’y attendent. Mais le monde réel, même revu par la magie, n’apporte pas forcément le bonheur. Ce qu’il faudrait, c’est que l’univers de Fillory, celui des contes de son enfance, ne soit pas un monde imaginaire. Qui sait?…
Alors la, le combo est fort, ça repompe Harry Potter ET Narnia. Les clés du succès peut-être ? Le livre finit dans mon panier, et je passe à la caisse. Il faut que je le lise pour mieux pouvoir m’en moquer après. Et puis, j’aurais peut-être une bonne surprise, qui sait ?
Ce fut une bonne surprise. Une excellente surprise. Ou une mauvaise ? Avant d’étayer, 2 choses à savoir : « Les magiciens » n’est pas le pastiche d’Harry Potter qu’il semble être au 1er abord, et n’est pas non plus un livre innocent.
Son public est très précis. Ce livre est pour vous si vous avez lu Harry Potter, Narnia, le seigneur des anneaux, et d’innombrables livres de fantasy. Il est pour vous si vous avez révé, fabulé, sous quelque forme que ce soit, être un jour vous aussi acteur de cette magie. Et avez fini par admettre, un jour, que ça n’arriverait pas et êtes devenus adulte.
Comme le dit si bien le résumé, Quentin est un jeune homme qui rêve encore, consciemment ou pas, de magie. Et qui finit par y aller, dans cette école de rêve. Maintenant, imaginez qu’il s’agisse de vous. Imaginez qu’a l’instant, vous soyez transporté dans une école magique. Avec votre sens de la réalité, avec vos questions et vos remarques pratiques que vous n’avez jamais manqué d’avoir lors de la lecture de tel ou tel livre. Pas de soucis : Quentin se fera toujours un plaisir de les émettre à autre voix. Et Brakebills se fera un plaisir de se révéler aussi chiante et contraignante que n’importe quelle autre université. Et vous feriez bien de vous y faire car tous le livre sera ainsi : Dès qu’une once de magie originelle, toute auréolée de paillettes et de niaiserie, fera mine de pointer le bout de son nez, les événements ou les personnages ne se priveront pas de les remettre à leur place. Si des centaures apparaissent, nimbés de lumière, leurs longs cheveux brillants au vent, accompagnés de magnifiques chevaux sauvages, c’est tout simplement pour pouvoir baiser sans arrière pensée quand l’envie leur en vient.
Parlons en, des personnages. Le héros est un dépressif pur et dur doublé d’un nerd qui ne cherche pas à se faire des amis, son 1er contact à Brakevill – qui restera son idole – est un jeune homme ouvertement gay aux dents de travers qui, évidemment, ne manque pas d’écoper de remarques sur ses orientations sexuelles, ses 1ers compagnons sont un punk et une fille sinistre, et ce n’est pas par amitié, mais pour potasser… Réalisme pourrait être le mot d’ordre pour l’univers et les personnages de ce livre. De la magie, d’accord. Mais cela reste une école, et de dures études, avec tout ce que cela comprend. Et les personnages ne sont pas tous des exemples de saintetés aux défauts sociablement acceptable comme la gourmandise ou un trop forte tendance à vouloir aider les autres. Ils ont de vrais défauts, et se révelent parfois être de vrais salaud ou de pauvres cons. Comme nous.
Ce n’est pas un livre pour les enfants. Pas quand Eliot s’adonne à des pratiques sado maso avec d’autres garçons en haut de la tour, pas quand une compagne de classe se fait bouffer par une créature venue d’un autre plan, pas quand tout cela est écrit de telle manière que cela semble réel. Toute la force de ce livre est la : Tout au long de l’histoire, on accompagne Quentin et son point de vue pessimiste et pragmatique sur le monde qui l’entoure. La magie ne nous emporte jamais, et les événements, aussi fabuleux qu’ils soient, demeurent toujours des faits terre à terre.
Le livre se découpe lui même en 4 livres, chacun présentant une partie bien distincte de l’histoire. Le 1er livre prend la place de la moitié du roman, tandis que les 3 autres se disputent l’autre moitié. Ce n’est que dans la 1ere moitié que Quentin mène ses études à Brakevills, dans l’autre moitié… Les choses changeront, bougeront, évoluerons, mais jamais son regard : Apprêtez vous à accompagner un héros dépressif jamais satisfait de sa situation.
Mais pour tout ses défauts, pour son regard, on se retrouve en Quentin – même si on a parfois envie de lui foutre des baffes – et on l’accompagne dans cette histoire qui garde toujours, par une étrange alchimie, un goût de « réalité ».
Alors, si vous cherchez du rêve et de la magie, passez votre chemin. Si vous acceptez d’être confronté à l’amertume que vous avez gardé au fond de votre cœur, n’hésitez pas à poser la main dessus. L’intrigue générale est bien ficelé, les personnages sont vivants, l’ensemble a une vie propre qui vaut la peine que l’on se penche dessus.
Date de parution : 19 août 2010
Auteur : Lev Grossman
Traducteur : Jean-Daniel Brèque
Edition : L’atalante
Nombre de pages : 512
Prix : 23,50 €
Le livre se fend d’une campagne de promotion intéressante, proposant 2 faux sites web : Le 1er est sur Christophe Plover, l’écrivain des « Chroniques de Fillory », livre dont Quentin est fan. Le 2eme est carrément le site officiel de Brakebills.