La vie de vagabond – ou SDF – abordée en manga
Les mangas peuvent aborder n’importe quel sujet, c’est un fait reconnu. Après, avant que lesdits manga ne parviennent en France… Mais il s’en trouve tout de même, de ces œuvres qui abordent des thèmes sociaux et dérangeant, tels que la vie de SDF. En voici 2 d’entre eux.
Journal d’une disparition – Hideo Azuma
Thème difficile et vieux dessins « moches ». Ce manga combinait les raisons pour laquelle je ne l’achetais jamais, malgré le fait qu’il m’intrigue. Une œuvre autobiographique sur un mangaka qui, du jour au lendemain, à tout abandonné pour aller dans la rue ? L’avoir trouvé en bibliothèque à été l’occasion de le lire.
C’est intéressant de lire de vieux mangas. Leur esthétique, leur narration, leur but, n’a rien à voir avec les mangas de notre époque. Le trait est plus rond, plus épais. L’époque Tezuka en somme. Ce qui est visé n’est pas une esthétique visuelle mais en 1er lieu une certaine efficacité de narration. Ce manga à vraisemblablement été dessiné durant les années 90 mais relate des événements datant des années 70. Son auteur est véritablement un vieux de la vieille.
Pour l’anecdote : Le nom de Hideo Azuma ne vous dit peut-être rien, mais peut-être vous souvenez vous de « La Petite Olympe et les Dieux », animé diffusé sur la 5 à une époque. C’était de son cru ! C’est vraiment étrange de mettre en parallèle cet animé relativement « niais » que j’aimais regarder d’un œil, et cette histoire très sombre d’un homme qui renonce à tout.
L’auteur :
Hideo Hazuma naît le 6 février 1950, à Hokkaido, au Japon. Il emménage à Tokyo, entre dans une entreprise et démissionne aussitôt. Il devient l'assistant de l'auteur de manga Rentarô Itai puis débute à son tour en tant qu'auteur en 1969. Il a écrit des mangas comiques tels que "Futari to gonin" ou "Yakekuso tenshi", des mangas de S.F. ou de l'absurde tels que "Parareru kyôshitsu", "Mechiru metafijîku" ou "Fujôri nikki". (Ce dernier remporte le prix Seiun du 10e concours de S.F. japonaise en 1979.) Il dessine également des mangas érotiques avec des jolies filles tels "Hizashi" ou "Umikara kita kikai". Ses œuvres variées remportent un grand succès de toute part. "Nanako S.O.S." et "Orinpusu no poron" ont été adaptés en dessins animés. (Ces deux œuvres ont été rééditées en 2005 aux éditions Hayakawa Bunko.)
Source : Mangakana
Journal d’une disparition est donc une œuvre autobiographique relatant les 2 premières « fugues » en 1989 et en 1992 – c’est le mot employé par l’auteur lui même, et il convient au final très bien – du mangaka et ses années passées en tant que SDF, sa reconversion en tant qu’employée du gaz, et finalement sa cure d’alcool en hôpital.
Ce manga m’a laissé une impression étrange, appuyée par l’interview du mangaka en fin de volume. Les faits relatés sont d’une extrême dureté : On voit le héros fouiller les poubelles, récolter les mégots pour les fumer, manger les restes froids de nourriture qu’il peut trouver. Le tout est narré de manière très détaché, presque humoristique – presque car il n’y a pas de gag en tant que tel, juste un extrême détachement dans la narration – avec cette méthode « à l’ancienne » des personnages décrivant leurs actions que l’on peut aussi trouver dans les vieux comics. C’est avec une sorte de curiosité morbide que l’on suit le chemin du héros. Le ton n’est jamais pathétique ou plaintif, l’auteur décrivant ces périodes de sa vie comme de simples faits, posant sur eux un regard neutre voir amusé.
La narration n’a pas une chronologie des plus claires, l’auteur revenant régulièrement sur des tronçons du passé, quand il était mangaka et overbooké, avant qu’il n’aille dans la rue. Une manière de montrer « Conséquences > raisons » ?
Ce n’est pas vraiment un manga « qui dénonce ». Il constate, c’est tout. Qu’est-ce qui a poussé l’auteur à craquer ainsi, à abandonner sa vie pour aller dans la rue ? Qu’est-ce qui l’a fait ainsi tomber dans l’alcoolisme ? Aucun coupable n’est pointé directement du doigt. A par peut-être l’ensemble de la vie et de ses contraintes. Azuma n’accuse personne, mais de ce fait, ce manga sensé aborder la vie de manière positive m’a laissé une forte sensation de malaise et de pessimisme.
Azuma est il fou ? C’est la question que l’on peut se poser au final. N’y aurait-il pas une raison psychologique à même d’expliquer les fugues à répétition, et la vie dans la rue que l’auteur à choisit de mener alors qu’il avait un foyer ? A aucun moment dans l’histoire il ne semble songer à la possibilité de retourner chez lui. Comme si la pression sociale avait eut raison du sentiment de foyer. L’auteur paraît en tous cas équilibré, comme l’indique sa narration claire ou son interview à la fin du manga. Interview qui laisse un sentiment étrange par ailleurs : Il dit « ne pas avoir abordé les anecdotes les plus misérables ». Après avoir parlé de fouiller les poubelles pour y récupérer un pain moisi soigneusement décortiqué avant d’être mangé, on se demande ce qu’il y aurait put avoir de pire… Certainement mentionne t’il certains faits sur lesquels il n’a fait que passer rapidement : Il se disait « toujours sale », sans parler plus en avant de poux, vermines et couche de crasse que la vie de sans abris apporte. Peut-être s’agit il de ce genre de détails qu’il a choisi de ne pas souligner, pour ne pas virer dans le pathos, ou ne pas répugner définitivement son lectorat.
Ce n’est pas un manga que l’on lit pour la détente ou pour rire, mais plus par curiosité intellectuelle si je puis dire. Mais il en vaut dans tous les cas le coup. Une suite existe, nommée « Journal d’une dépression ». Le titre est encore une fois évocateur, et l’histoire narre visiblement la suite de son hospitalisation. Le thème est vraiment sombre, et passée la curiosité première, je n’arrive pas à vouloir le lire. Le sujet est au final un peu trop démoralisant à mon goût et semble vraiment l’être .
Je ne suis pas mort – Hiroshi Motomiya
J’ai relu ce manga après avoir lu « Journal d’une disparition » car il me semblait vaguement que les thèmes étaient proche, les 2 histoires commençant par un homme tentant de se suicider en se pendant, et se ratant. Mais la similitude entre les 2 œuvres s’arrête la.
En premier lieu, le trait suffit tout seul à différencier les œuvres. Le manga de Motomiya est pourvu d’un trait soigné, réaliste, proche de certains seinen. La majeur partie de l’histoire se déroule dans la nature et les dessins de décors de la forêt sont admirablement détaillés. Car effectivement, c’est dans la nature sauvage que se déroule cette histoire.
Kendo Okada est un homme d’une soixantaine d’année, qui a passée sa vie à travailler, accumulant avec les années un certain retard technique, restant au boulier pour rédiger sa comptabilité quand ses collègues sont passés à l’ordinateur. Il approche de l’âge de prendre sa retraite, et voilà que sa femme et ses enfants disparaissent, emportant avec eux tous les biens de l’appartement ainsi que tout l’argent mis de coté par cet homme. Il décide d’en finir et de se suicider dans la forêt proche de sa ville natale. Mais la branche de l’arbre se casse, et Okada vit alors une sorte de 2eme naissance : « Je ne suis pas mort ». Ces simples mots vont le mener à recommencer à vivre, mais différemment. Un nouveau départ, en pleine nature.
C’est donc une vie de vagabond qui est décrite, mais bien peu dépendante au final de la société urbaine, exception faite du début de l’histoire ou il récupère des ustensiles dans une décharge sauvage. Okada se détache peu à peu de la vie dite civilisé, confronté à ses confrères il osera répondre aux agressions verbales, confronté au danger et aux blessures, il se débrouillera seul. Ce manga prône véritablement le retour à la nature et souligne la futilité de certains des soucis de l’homme civilisé. C’est une histoire qui, bien que réaliste, se vit au final tel un conte, tant le ton général en est optimiste, tout comme le déroulement et surtout la conclusion.
Que dire de plus ? Le seul reproche que je ferais à ce manga est le coté définitivement exagéré de la famille d’Okada qui se comporte comme de véritable salopard : Outre leur fuite de la maison, il apparaissent rapidement dans la suite de l’histoire, s’inquiétant de la santé du vieil homme « pour toucher l’assurance vie ». Cette exagération de leur fourberie m’a agacé. Mais en même temps, que sait on d’Okada ? On ne le voit que dans le présent, agissant face à sa situation actuelle. On sait qu’il a travaillé tout sa vie. En fait, c’est la seule chose que l’on sait de lui. Peut-être à t’il délaissé sa famille sans s’en rendre compte, peut-être les a t’il tous fait beaucoup souffrir. L’histoire est au final décrite du point de vue d’Okada, et dans les flash back, il est toujours à son avantage, en position de victime – il souhaite emmener ses enfants au restaurant mais ceux ci sont partis voir des amis – mais au final, l’histoire n’est elle pas narrée sous son seul point de vue et donc, purement subjective ? Peut-être par le passé a t’il mal agit, mais se refuse d’y penser.
Mais au final, c’est le présent et lui seul qui est privilégié, comme si « aller de l’avant » était la seule réponse aux déboires du passé. Et c’est au final vrai : En oubliant sa vie passée et en vivant une renaissance dans la forêt, suivie d’une nouvelle vie, Okada a une attitude des plus courageuse. Regretter ou se repentir des erreurs du passé ne fait pas avancer, en soit.
Un manga à l’arrière goût de conte pour adulte qui se lit très agréablement. Un volume 2 est prévu, et même si je ne pense pas qu’il aura le même goût d’authentique que le 1er, je l’achèterais sans hésiter.