Culte de la maigreur et de la beauté, phénomène de société en manga
J'adore les Josei. Ils sont pleins de surprises et d'histoires qui tombent souvent juste. Je pioche toujours un peu au hasard, me fiant plus à l'attrait du dessin qu'au synopsis, ou découvre des titres via des blogs, comme c'est le cas pour In the clothes named fat que je me suis dépêchée d'acheter lorsque j'ai appris qu'il ne serait plus réédité. Pour l'autre titre de ce post, Helter Skelter, ce fut plutôt le hasard. Je n'avais lu qu'un seul titre de Kyôko Okazaki, et il m'avait interpellé. Tombée dessus lors de mes fouilles en librairie d'occasion, je l'ai ramené avec moi. Une fois la lecture terminée, le lien avec In the clothes named fat s'est imposé.
Les 2 manga ne traitent pas pourtant du même sujet et sont même très différents en eux même - Le 1er est centré sur une jeune femme enrobé voulant absolument maigrir tandis que le second se rapproche d'un policier avec plusieurs personnages - mais la même dénonciation d'une societé qui condamne les femmes y est dépeint.
In the clothes named fat - Moyoco Anno
Le titre et la couverture donnent le ton. Le titre évoque une formule religieuse tel que "In god we trust", sauf que la, elle parle d'un habit de chair épaisse qui l'entoure. Le dessin représente une femme trop maigre, qui pourtant pourrait coller aux critères de beauté actuels.
L'héroine, Noko, est une jeune femme enrobée qui travaille en tant que secrétaire. De part son physique, elle est la cible des railleries appuyées de ses collègues qui n'hésitent pas à émettre des allusions cinglantes, tandis que ses collègues masculins semblent se désister de la politesse face à elle. Ses collègues vont même jusqu'à la designer coupable d'erreurs qu'elle n'a pas commise, sans qu'elle n'ose résister. Noko est passive, victime, dans sa vie comme dans sa relation avec son ami. Ils sont ensemble depuis 8 ans et elle se dit qu'elle ne le mérite pas, qu'elle ne doit rien faire qui puisse le contrarier, ou il pourrait la quitter sans emoi. Après tout, elle est grosse. La pire de toutes envers elle est certainement Mayumi, le profil type de la jeune femme hautaine et fine qui se fait respecter. Lorsque Mayumi couchera avec le petit ami de Noko, celle ci osera à peine répliquer. Après tout, elle est grosse.
Son surpoid devient à lui seul la cause même de ses soucis, la matérialisation de ses angoisses et de ses handicaps. En un sens, c'est vrai : Elle trouve le réconfort dans la nourriture. Mais tout vient il vraiment de la ? Dans tous les cas, Noko s'en persuade et décide de maigrir. Encore, et encore, dans une spirale sans fin. Car plus elle sera maigre, plus elle sera heureuse. C'est bien ce que la societé nous apprend, non ?
Le pire, c'est peut-être le sentiment que l'on ressent en tant que lectrice : On se sent un peu dégoutée, un peu gênée face à cette grosse fille. Une grosse, c'est une fille qui se néglige, qui devrait faire des efforts, par vrai ? Elle n'a qu'a agir un peu plus, bon sang. Pff, elle ne trouve même pas de sous vêtement à sa taille, car elle est trop grosse. Mais, c'est horrible. On ne vaut pas mieux que cette Mayumi ? A un moment, Mayumi énonce "J'ai toujours détesté les gros. C'est étrange, quand je vois un gros souffrir, j'éprouve un grand calme, je me sens purifiée et de plus en plus belle.". Horreur encore une fois, de se trouver des atomes crochus dans cette ignoble réflexion. Malgré soit, on se rend compte que l'on a appris à détester les gros par principe, à se moquer d'eux parce qu'ils font des cibles faciles dans cette société ou une femme grosse n'est pas une femme valable.
Une amie m'a raconté une anecdote : Un jour, en voyage au Maroc, une femme portant un voile sur la tête lui a dit "Vous croyez que nous sommes brimées ? Nous ne portons qu'un voile, parce que nous le voulons, et nos hommes nous aiment grosse. Vous, dans votre pays, vous devez être maigre, sinon vous n'en valez pas la peine. Vous êtes bien plus à plaindre que nous !". On ne peut que trouver une résonance entre ces propos d'une justesse aiguisées et ce qui est dépeint dans ce manga.
Dans son développement et sa conclusion, ce manga met en avant de nombreux autres points, notamment les réactions de son entourage lorsqu'elles parvient à maigrir, qui laissent entendre qu'elle est condamnée à être grosse. Elle est née ainsi, grosse et souffre douleur. Les gens n'aiment pas ceux qui font des efforts pour sortir de la fosse. Ils ne veulent pas qu'elle maigrisse. Peut-être que parce que si elle y parvenait, le mensonge serait révélé au grand jour ? Être maigre ne la rendra pas heureuse. Mais personne ne veut que cela soit révélé, car il est trop bon d'y croire : Après tout, toutes les femmes ne courent elles pas vers la maigreur par la majorité de leurs actes, persuadée que cela leur apportera forcement le bonheur ? Dans une quête illusoire et sans fin.
Helter Skelter - Kyôko Okazaki
Changement radical de registre et de style. La ou le dessin de Moyoco Anno est doux et agréable à l'oeil, celui de Kyôko Okazaki est brutal et succinct, comme si elle avait dessiné à main levé au stylo. Quand à l'univers et le registre, changement aussi. Quittons les petites secrétaires d'une grande ville pour rejoindre le monde de la mode et suivre les déboires de Lili, la top modèle, dans un manga qui parle du culte de la beauté. Il n'est guère éloigné de celui de la maigreur.
Difficile de définir le héros de cette histoire. On pourrait parler de Lili, mais elle est plutôt le pilier central de toute cette macabre histoire, ou vont se retrouvés emportés avec elle ceux qui l'entourent, à commencer par sa manager, Kin-chan. Lili donc, top model en vogue dont tous le monde parle. Dans le privé, elle est exécrable, capricieuse, et prompt aux changements d'humeur. Dès le début, un étrange malaise survient avec l'apparition d'une tache sur la tempe de Lili qui la met dans tous ses états, ce qui ne semble pas étonner sa productrice, "Mamoune" de son petit nom seriné par Lili lorsqu'elle se sent mal.
La vérité éclate bien vite : La beauté de Lili est totalement factice. Tout son corps à été refait grâce à la chirurgie esthétique. Et cédant sous le temps et les raccords, ne supporte plus ce corps trop rafistolé, trop modifié, nécessitant qu'elle passe encore et encore sur le billard. Son caractère va de paire avec son corps : Instable et imprévisible. Les cachets pour dormir, les pilules calmantes, sont déjà son quotidien. Derrière le vernis des affiches et les sourires des interviews aux réponses préfabriquées, la vie de Lili est une horreur. Une horreur, mais tout ce qu'elle sait faire, tout ce qu'elle peut être. Ce corps est tout ce qu'elle a. Et il touche à sa fin, elle le sait. Alors si elle doit disparaitre, elle ne le fera pas seule : Elle les emporteras tous avec elle.
Helter Skelter ne se résume donc pas à une simple dénonciation de l'envers de l'univers de la mode. Il dépeint des personnalités fortes, entrainées dans le tourbillon de la folie de Lili. Sa manager, quasiment envoutée par elle. Son petit ami qui en subit bien vite les frais. Son petit ami, fils d'une grande entreprise qui bientôt se verra engagé dans une mariage arrangé. Ce jeune policier, qui enquête sur des histoires de suicide et également sur une boite qui opère d'étranges opérations chirurgicales illégales... Dans cette toile, tous se rejoint et se recoupe le long des 300 pages de ce gros manga.
On en apprend plus sur Lili, on la prend en pitié, on a du mal à la détester, sans parvenir à l'aimer. On déteste facilement Mamoune, fielleuse. On se sent dégouté par le comportement de Kin-chan, mais aussi étrangement fasciné. Et on se demande ou tout cela va t'il finir...
L'histoire est brillamment construite de bout en bout, et dépeint les ravages qu'on fait ce diktat de la beauté, de la maigreur et du corps parfait, sur la vie de Lili ainsi que sur celle d'autres filles. Et malgré cela, le monde continu de tourner. Ce n'est après tout qu'une autre scandale sur papier glacé, si loin de notre quotidien.
A la fin de l'histoire, quelques pages ajoutées laissent présager une suite qui n'aura pas été dessinée. Cela s'explique par le postface qui nous parle de l'auteur : En 1996, Kyôko Okazaki à été renversée par une voiture, subissant de lourdes séquelles. Il y a un trou dans sa carrière, entre cette date et 2003, avant qu'elle ne reprenne une activité.
Elle aurait du retoucher cette histoire pour la parution en volume reliée, mais incapable de le faire, c'est une ancienne assistante à elle qui s'en est chargée : Moyoco Anno. Finalement, le lien entre ces 2 histoires est peut-être plus présent que l'on ne l'aurait cru de prime abord.
Ces 2 manga, chacun à leur manière, posent le doigt – ou plutôt l'ongle – sur des points précis ancrés en nous que nous ne souhaitons pas voir en face pour ne pas sortir de notre petit confort apporté par certaines conditionnements sociaux. Ce sont tous 2 des œuvres brillantes et brutales qui méritent d'être lues et démontrent encore une fois, si besoin en était, que les bandes dessinées peuvent, de multiples manières, traiter de sujets graves et de sentiments avec une grande efficacité. Sous des abords pessimistes, ils nous font réfléchir et remettre en question des choses qui sont des acquis quasiment innés et confortés par le comportement des autres et les choix des médias tout autour de nous.
Œuvre cinglantes, elles ne sont néanmoins pas à mettre entre toutes les mains par la violence et la portée de leurs propos : J'en déconseille la lecture à des personnes trop jeunes ou tout simplement trop sensibles.